Coronavirus : le délai de renonciation prorogé ne sera pas « prorogé » !

Pour les contrats d’assurance vie ou de capitalisation conclus à partir du 1er mars 2006, c’est dans la limite de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que son contrat est conclu que le défaut de remise par l’assureur des documents et informations prévus à l’article L. 132-5-2 du code des assurances entraîne la prorogation du délai de renonciation.

L’article 5 de la loi no 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, entré en vigueur le 1er janvier 2015, a modifié l’article L. 132-5-2 en ce sens que cette prorogation n’intervient plus « de plein droit » mais seulement « pour les souscripteurs de bonne foi ».

Devant les juridictions, les assureurs ont essayé de plaider que cet article de loi ne modifie pas la portée de l’article L. 132-5-2 mais explicite seulement que, depuis l’origine, cet article du code des assurances ne s’applique pas aux souscripteurs de mauvaise foi. Selon eux, l’article 5 de la loi du 30 décembre 2014 revêt donc un caractère interprétatif, si bien que, par exception au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, il est applicable aux contrats en cours.

Malheureusement, si les assureurs peuvent parfois avoir l’oreille du législateur, il est plus difficile pour eux d’avoir celle des juges du fond. En l’occurrence, les tribunaux de grande instance et les cours d’appel ont vite jugé qu’il ne s’évince ni des termes de la loi, ni des travaux parlementaires, que le législateur aurait entendu, par l’ajout de la condition de bonne foi, uniquement interpréter la loi ancienne et qu’il aurait ainsi entendu donner à l’article 5 de la loi du 30 décembre 2014 une portée rétroactive. Cette nouvelle loi ne s’applique donc qu’aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2015 (Paris, pôle 5 – ch. 6, 12 déc. 2018, NO R.G. : 16/09865).

Avec la pandémie du coronavirus, la question se posait de savoir quel sort serait réservé aux souscripteurs de contrats d’assurance vie ou de capitalisation pour lesquels le délai de renonciation prorogé expire pendant la période de confinement, qui a commencé le mardi 17 mars 2020 à 12 heures et qui devrait prendre fin à compter du lundi 11 mai 2020.

Une réponse semblait avoir été apportée par le Gouvernement, que l’article 11 de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (publiée au J.O.R.F. no 0072 du 24 mars 2020) habilite à prendre, dans un délai de trois mois à compter de sa publication, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

En effet, l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période :

  • précise en son article 1 que ses dispositions sont applicables aux « délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », étant précisé que, à ce jour, en application de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire devrait cesser le 24 mai 2020, si bien que la « période juridiquement protégée » s’achèverait le 24 juin 2020 ;
  • prévoit en son article 2 que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

Il était permis de penser que la lettre recommandée avec demande d’avis de réception par laquelle le souscripteur d’un contrat d’assurance vie ou de capitalisation notifie à son assureur sa décision de renoncer à son contrat est un acte juridique unilatéral prescrit par la loi à peine de forclusion.

Mais a été publiée ce matin au Journal officiel (J.O.R.F. no 0093 du 16 avril 2020) l’ordonnance no 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, dont l’article 2 modifie l’article 2 de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 en ajoutant un alinéa qui précise que ce dernier « n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation et de renonciation prévus par la loi ou le règlement ».

Et cette fois, l’article 2 de l’ordonnance du 15 avril 2020 n’omet pas de préciser, pour couper court à un éventuel futur débat devant les juridictions, que « cette modification a un caractère interprétatif », ce qui signifie qu’elle rétroagit à compter du 26 mars 2020, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance ainsi modifiée.

Comme l’expose le rapport du ministère de la justice au Président de la République relatif à cette nouvelle ordonnance :

L’article 2 de cette ordonnance ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s’agit de permettre d’accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois.

Ce mécanisme ne peut fonctionner que si le délai pour agir est “prescrit” par la loi ou le règlement, “à peine” d’une sanction ou de la déchéance d’un droit.

La faculté de rétractation ou de renonciation, c’est-à-dire le délai laissé par certains textes avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement à un contrat, n’est pas un acte “prescrit” par la loi ou le règlement “à peine” d’une sanction ou de la déchéance d’un droit.

Les délais pour se rétracter ou renoncer à un contrat, par exemple en matière de vente à distance ou de contrats d’assurance ou de services financiers à distance, d’assurance-vie ou encore de vente d’immeubles à usage d’habitation relevant de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, sont donc exclus du champ de l’article 2 de l’ordonnance précitée. Une lecture contraire aurait pour effet de paralyser nombre de transactions. »

Après avoir lu l’ordonnance du 25 mars 2020, votre serviteur a immédiatement imaginé des assureurs horrifiés décrochant leur téléphone pour plaider une modification du texte.

Les voilà rassurés. Avec des bureaux de poste plus ou moins fermés, des facteurs qui n’auront peut-être pas pu remettre les recommandés dans les sièges sociaux des assureurs, des lettres qui n’auront peut-être pas été retirées dans les bureaux de poste dans le délai d’instance, et des significations de demandes de renonciation impossibles avec des huissiers de justice confinés, ils ne seront pas contaminés par le virus de la renonciation.

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